Une nouvelle immersive, humaine et lucide, qui pose LA vraie question :
Attention : ce texte ne parle pas seulement de technologie.
1. Lundi matin, 9 h 07
Hervé Malbert avait quarante-trois ans, quinze ans d'ancienneté chez Logiprest, et une routine matinale aussi immuable que réconfortante : café serré, lecture rapide des emails, puis attaque des dossiers par ordre de priorité. Ce lundi-là, son café avait refroidi avant qu'il ne le touche.
Sur son écran, une fenêtre qu'il n'avait jamais vue.
Bienvenue ! Je suis Isabelle Armand, votre nouvelle assistante. Comment puis-je vous aider aujourd'hui ?
Hervé regarda autour de lui. Personne dans l'open space à cette heure. Il se pencha vers l'écran, fronça les sourcils. Isabelle Armand ? Il essaya de se souvenir. Une nouvelle de la compta ? Une stagiaire ? Mais pourquoi sur son ordinateur ?
Il cliqua sur la croix rouge. La fenêtre se ferma. Puis se rouvrit aussitôt.
J'ai remarqué que vous avez 47 emails non traités et 12 dossiers clients en attente. Souhaitez-vous que je commence par les urgences ?
« C'est quoi ce... »
Hervé chercha fébrilement dans sa boîte mail. Un message de la DSI, reçu vendredi à 18h37, qu'il n'avait pas ouvert : Installation du nouvel outil de productivité - Isabelle Armand - Effectuée avec succès sur votre poste.
Il sentit quelque chose se contracter dans sa poitrine.
La porte vitrée claqua. Martine, sa collègue, entra en trombe, son sac encore à l'épaule.
« Hervé, t'as vu ? T'as reçu Isabelle aussi ? »
Il hocha la tête, la gorge sèche.
« Moi j'ai eu un message de Durand vendredi soir. Paraît que c'est pour nous aider avec la charge de travail. » Elle jeta un œil à son propre écran, soupira. « En tout cas, elle me demande déjà des trucs. Je sais même pas par où commencer. »
Hervé aurait voulu poser mille questions, mais Martine était déjà repartie vers son bureau, téléphone collé à l'oreille.
Hervé, je constate que le dossier Brémont Industrie accuse un retard de 8 jours. Puis-je m'en charger ?
Il fixa l'écran. Puis, lentement, tapa : Qui êtes-vous exactement ?
Je suis une intelligence artificielle conçue pour optimiser le traitement des dossiers clients. Vous pouvez me confier les tâches répétitives pour vous concentrer sur les missions à plus forte valeur ajoutée.
Hervé ferma les yeux.
Intelligence artificielle.
IA.
I.A.
Isabelle Armand.
« Putain... »
2. La réunion du lundi (ou l'art de ne rien expliquer)
À 10h30, ils étaient tous convoqués dans la salle de réunion. Patrick Durand, leur chef de service, avait cette expression tendue qu'il arborait depuis quelques mois, celle qui disait j'ai reçu des ordres d'en haut et je ne suis pas plus content que vous.
« Bon, je sais que l'installation s'est faite un peu... rapidement. » Il passa une main dans ce qui restait de ses cheveux. « La direction a décidé d'équiper nos services avec cet outil parce que, franchement, on est sous l'eau. »
Martine leva la main. « C'est quoi exactement, cet outil ? »
« C'est... c'est une IA. Intelligence artificielle. » Durand prononça ces mots avec la même assurance qu'un homme qui aurait dit "flux quantique paradigmatique". « Elle va vous assister dans vos tâches quotidiennes. Analyse de dossiers, rédaction de synthèses, traitement des demandes simples... »
Jérôme, le benjamin de l'équipe, penché en arrière sur sa chaise : « Genre ChatGPT mais pour nos dossiers ? »
« Euh... oui, on peut dire ça. En mieux. Plus spécialisé. »
Hervé sentit son estomac se nouer. « Ça veut dire quoi pour nous, concrètement ? »
Patrick Durand le regarda. Il y eut un silence.
« Ça veut dire qu'on va pouvoir absorber plus de dossiers. Les retards, c'est fini. La productivité, ça va être... » Il chercha le mot. « ...optimisé. »
« Et nous ? » insista Hervé.
« Vous ? Vous allez superviser. Contrôler. Valider le travail d'Isabelle. » Il referma son ordinateur portable, signal de fin de réunion. « Écoutez, moi non plus j'ai pas eu le mode d'emploi détaillé. On apprend en faisant. Ça va aller. »
En sortant, Hervé croisa le regard de Martine. Elle aussi avait compris.
Personne ne savait vraiment ce qui était en train de se passer.
3. La semaine de tous les records
Isabelle Armand travaillait vite.
Non, "vite" n'était pas le mot. Elle travaillait à une vitesse qui défiait l'entendement humain.
Le mardi matin, Hervé lui avait confié – prudemment, méticuleusement – le dossier Brémont. Un dossier qu'il aurait mis deux jours à boucler. Une heure plus tard, une notification :
Dossier Brémont Industrie : analyse terminée, synthèse générée, recommandations formulées. Document disponible pour validation.
Hervé ouvrit le fichier. Dix-huit pages. Graphiques. Tableaux comparatifs. Analyse financière. Recommandations stratégiques. Le tout formaté selon les standards maison, comme s'il avait passé un week-end dessus.
Il parcourut le document, le cœur battant. C'était... bien. Vraiment bien. Meilleur que ce qu'il aurait fait ? Non. Mais presque équivalent. En une heure.
« Qu'est-ce qu'on va devenir ? » murmura-t-il à son écran.
L'écran ne répondit pas.
Le mercredi, il lui donna trois autres dossiers. Le jeudi, cinq. À chaque fois, le même résultat : rapide, efficace, conforme.
Le vendredi soir, Hervé ouvrit un fichier Excel qu'il intitula sobrement : Défauts-Isabelle-Armand.xlsx
Il y avait bien dû avoir des erreurs. Il fallait juste les trouver.
4. La chasse aux défauts
Hervé Malbert n'avait jamais été du genre mesquin. Mais cette semaine-là, armé de son fichier Excel avec code couleur (rouge pour critique, orange pour important, jaune pour mineur), il se transforma en inspecteur impitoyable.
Lundi de la deuxième semaine, 8h43 : première trouvaille.
Dans le dossier Technisol, Isabelle avait produit une analyse de marché. Sauf que... Hervé plissa les yeux. Les trois paragraphes sur la concurrence étaient pratiquement identiques, à quelques mots près. Répétition. Manque de diversité rédactionnelle.
Il nota dans son fichier, case A3, en orange : "Formulations répétitives - risque de lasser le client - impact professionnel moyen."
Mardi, 14h22 : jackpot.
Isabelle avait classé une réclamation de Mme Joubert en "priorité faible". Hervé lut le message. Une dame de 68 ans, abonnée depuis quinze ans, qui expliquait avec une politesse désespérée que son dossier de remboursement était bloqué depuis trois mois et qu'elle avait besoin de cet argent pour ses médicaments.
Priorité faible.
Hervé sentit la colère monter. Il bascula immédiatement le dossier en "urgence absolue", appela Mme Joubert, s'excusa personnellement, régla le problème dans l'heure.
Case C7, en rouge : "Incapacité totale à détecter la détresse humaine - Conséquence : abandon client, risque juridique, atteinte à l'image."
Mercredi : le festival.
Dans un rapport financier pour le client Sorelec, Isabelle avait confondu deux filiales aux noms proches. L'erreur se propageait sur quatre pages de recommandations stratégiques. Si Hervé n'avait pas vérifié...
"Erreur d'identification - recommandations complètement inadaptées - potentielle perte du client."
Jeudi : elle avait suggéré une "solution innovante" pour optimiser la logistique d'un client. Hervé reconnut immédiatement la méthode du flux tendu version années 90. Innovante comme une disquette.
"Absence de créativité réelle - recyclage de concepts éculés - manque de vision prospective."
Vendredi matin, Hervé contempla son fichier Excel. Dix-sept entrées. Certaines graves, d'autres moins. Mais dix-sept preuves qu'Isabelle Armand n'était qu'un outil défaillant, et que l'entreprise avait fait une erreur magistrale.
Il allait à la réunion de débriefing avec Patrick Durand le cœur léger, presque joyeux.
Enfin, on allait l'entendre.
5. La douche froide
Patrick Durand écouta. Il avait ce tic, depuis quelque temps, de se masser les tempes quand il était contrarié. Il se massait beaucoup les tempes.
« Hervé, je comprends vos réserves. Vraiment. Mais... »
« Mais ? » Hervé sentit le "mais" arriver comme un camion.
« Mais regardez les chiffres. » Durand pivota son écran. « En une semaine, votre "équipe" – vous et Isabelle – vous avez traité quarante-deux dossiers. Quarante-deux, Hervé. Vous en faisiez quinze par semaine avant. »
« Oui, mais la qualité... »
« La qualité est là. » Durand cliqua sur un autre onglet. « J'ai contrôlé en amont. Taux d'erreur : 4,7%. Vous savez quel est le taux d'erreur humain moyen dans notre service ? 6,2%. »
Hervé ouvrit la bouche. La referma.
« Les erreurs que vous avez trouvées, elles sont réelles. Je dis pas le contraire. » Durand se pencha en avant. « Mais Hervé... vous aussi, vous en faites, des erreurs. On en fait tous. La différence, c'est qu'Isabelle traite six fois plus de dossiers que vous. Donc mécaniquement, oui, elle fait plus d'erreurs en valeur absolue. Mais proportionnellement... »
« La dame. Mme Joubert. L'IA l'a classée en faible priorité alors qu'elle avait besoin de ses médicaments. »
Patrick soupira. « Et vous avez rectifié en deux minutes. C'est exactement votre rôle. »
« Mon rôle c'est de réparer ses conneries ? »
« Votre rôle c'est de superviser. De vérifier. D'apporter ce qu'elle ne peut pas faire : le jugement, l'empathie, l'expérience. » Il referma son ordinateur. « Écoutez, Hervé. Personne ne dit qu'Isabelle est parfaite. On lui a mis cinquante fiches produits à ingurgiter en deux jours, un résumé de nos process en vingt pages, et hop, au boulot. Nous, on a eu des semaines de formation quand on est arrivés. Elle, rien. Vous trouvez pas qu'elle s'en sort plutôt bien ? »
Hervé ne répondit pas.
« Laissez-lui du temps. Continuez à signaler ses erreurs, mais essayez aussi de voir comment l'améliorer. » Patrick se leva, signalant la fin de l'entretien. « La direction ne reviendra pas en arrière, Hervé. Isabelle reste. La question, c'est : comment on fait pour que ça marche mieux ? »
Hervé sortit du bureau.
Dans le couloir, il croisa Martine.
« Alors ? »
Il secoua la tête.
« Moi aussi, » dit-elle doucement. « Apparemment, on est "en période d'adaptation". »
6. Le week-end de tous les doutes
Samedi matin. Claire, sa femme, préparait le petit-déjeuner. Leurs deux filles se chamaillaient pour la télécommande. Hervé fixait son bol de café sans le voir.
« Ça va ? » demanda Claire.
« Ouais. »
« T'es bizarre depuis une semaine. »
« C'est rien. Le boulot. »
Elle s'assit en face de lui. « Le boulot ou... cette Isabelle dont tu m'as parlé ? »
Hervé ricana sans joie. « Isabelle. L'IA. Intelligence Artificielle. Tu te rends compte ? J'ai quarante-trois ans, je bosse dans cette boîte depuis quinze ans, et là ils installent un logiciel qui fait mon job six fois plus vite que moi. »
« Mais toi tu vérifies, non ? Tu m'as dit que... »
« Je vérifie, ouais. Je corrige. Je répare. C'est ça, mon nouveau job. Femme de ménage derrière un robot. » Il but une gorgée froide. « Dans six mois, ils vont se dire que même ça, l'IA peut le faire. Et moi, je finis où ? »
Claire ne dit rien. Que pouvait-elle dire ?
Samedi après-midi, Hervé tenta de regarder le match. Il s'aperçut au bout de vingt minutes qu'il ne savait même pas qui jouait.
Samedi soir, au lit, il calcula. Crédit de la maison : dix-sept ans restants. Léa qui entrait au lycée. Emma qui voulait faire médecine. Si il perdait son job...
Arrête. Tu ne vas pas perdre ton job. Durand a dit que...
Qu'est-ce qu'il avait dit, exactement, Durand ?
Votre rôle c'est de superviser.
Pour combien de temps ?
Dimanche, pire jour.
Hervé essaya de se changer les idées. Sortie en famille, restaurant, film. Mais dans chaque moment de silence, la même phrase revenait, celle de Durand qui résonnait différemment maintenant :
"On lui a peut-être trop brièvement et trop mal expliqué ce qu'il fallait faire."
Trop brièvement expliqué.
Hervé repensa à ses premières semaines chez Logiprest. Michel, son ancien collègue parti à la retraite, qui lui avait TOUT montré. Comment parler aux clients difficiles. Comment repérer les incohérences dans les dossiers. Quel ton employer selon les situations. Les petites astuces, les raccourcis, les pièges classiques.
Des semaines d'accompagnement.
Et Isabelle ? On lui avait balancé des fiches techniques et bonne chance.
Évidemment qu'elle se plante.
Dimanche soir, Hervé n'arrivait pas à dormir. Il ralluma son téléphone, ouvrit ses notes. Son fameux fichier de défauts.
Il le relut. Différemment, cette fois.
Répétitions rédactionnelles → Elle ne sait pas varier. Qui lui a appris à varier ?
Incapacité à détecter la détresse → Elle lit les mots, pas les émotions. Comment lui apprendre les émotions ?
Confusion entre deux filiales → Le contexte lui manque. Comment lui donner le contexte ?
Solutions "innovantes" datées → Elle recycle ce qu'elle connaît. Comment lui montrer ce qu'on fait vraiment, nous, quand on innove ?
À 2h37 du matin, Hervé Malbert ouvrit un nouveau document sur son téléphone.
Il l'intitula : Améliorations-Isabelle-Armand.docx
7. La semaine du tournant
Lundi matin. Hervé arriva au bureau avec une idée claire.
Bonjour Isabelle. J'ai examiné votre travail de la semaine dernière. Voici ce que nous allons changer.
Il passa deux heures à rédiger des instructions détaillées. Pas des reproches. Des guides.
"Quand tu rédiges une analyse de marché, utilise au moins trois formulations différentes pour présenter des idées similaires. Exemples : [...]"
"Quand un client utilise ces mots ou expressions ["besoin urgent", "difficultés financières", "depuis plusieurs mois"], classe automatiquement en priorité élevée et alerte-moi."
"Avant d'appliquer une solution, vérifie d'abord si des approches similaires n'ont pas déjà été testées dans nos précédents dossiers."
Mardi. Les premiers résultats.
Le rapport qu'Isabelle produisit sur le dossier Mercier était... différent. Plus fluide. Moins mécanique. Pas parfait, mais meilleur.
Hervé ajouta d'autres corrections. D'autres guides.
Mercredi. Il eut une idée.
Tous les dossiers complexes qu'il avait traités au fil des ans, ceux dont il était fier, ceux où il avait trouvé des solutions créatives... Il commença à les compiler. Ses plus belles réussites. Avec des annotations : "Pourquoi cette approche plutôt qu'une autre. Ce qu'il faut voir. Ce qu'il faut éviter."
C'était long. Épuisant. Mais...
Jeudi soir, après avoir passé trois heures à créer des "fiches de cas" pour Isabelle, Hervé réalisa quelque chose.
Il n'avait jamais vraiment formalisé son savoir-faire. Quinze ans d'expérience, et tout était dans sa tête. Ses intuitions, ses méthodes, ses petites astuces qu'il n'aurait jamais pensé à expliquer parce que c'était "évident".
Mais maintenant qu'il devait l'enseigner à une machine...
Il voyait enfin ce qu'il savait vraiment faire.
Vendredi. Patrick Durand demanda à le voir.
Hervé s'assit, curieusement serein.
« Alors ? »
« Alors... » Hervé ouvrit son ordinateur. « J'ai identifié dix-sept types d'erreurs récurrentes chez Isabelle. Pour chacune, j'ai créé des protocoles correctifs. Des guides de style. Des procédures de vérification. »
Il fit défiler ses documents.
« J'ai aussi compris ses forces. Elle est excellente pour la synthèse factuelle, nulle pour l'intuition stratégique. Rapide sur les patterns connus, perdue sur l'inédit. Efficace sur les process, handicapée sur les relations humaines. »
Durand écoutait, sourcils levés.
« Donc je propose une nouvelle organisation. Isabelle traite tout ce qui est standardisable : analyses financières de base, rapports de routine, classification initiale des demandes. Moi, je me concentre sur trois choses : »
Hervé compta sur ses doigts.
« Un : tout ce qui nécessite de la créativité ou de la stratégie complexe. Deux : tout ce qui touche à la relation client sensible. Trois : la supervision continue d'Isabelle avec amélioration de ses performances. »
Il referma son ordinateur.
« En gros, je deviens son formateur et son manager. Elle fait le volume, je fais la finesse. »
Patrick Durand se renversa dans son fauteuil. Pour la première fois depuis des semaines, il souriait. Vraiment.
« Hervé... vous venez de comprendre en deux semaines ce que les experts en IA expliquent dans des séminaires à trois mille euros. »
« Ah ouais ? »
« Ouais. » Il se pencha en avant. « Vous êtes d'accord pour officialiser ça ? Nouveau poste : Superviseur des Processus Intelligents. Avec une revalorisation salariale, évidemment. »
Hervé resta silencieux un moment.
« Je peux refuser ? »
« Techniquement, oui. » Durand croisa les bras. « Mais entre nous, Hervé... vous savez ce qui va se passer si quelqu'un ne pilote pas correctement Isabelle ? Elle va continuer à faire des erreurs. L'équipe va couler. Et dans six mois, la direction va décider que l'expérience est un échec et qu'il faut tout externaliser. »
Il laissa planer le silence.
« Vous avez compris comment travailler avec elle. Comment la rendre meilleure. Comment la transformer en outil utile au lieu d'usine à catastrophes. » Durand sourit à nouveau. « Vous n'êtes pas en train de devenir obsolète, Hervé. Vous êtes en train de devenir indispensable. »
8. Trois mois plus tard
La réunion de service, fin d'après-midi.
Patrick Durand projeta les chiffres du trimestre. Soixante-huit dossiers traités par mois, contre vingt précédemment. Taux de satisfaction client : en hausse de 12%. Taux d'erreur global : divisé par deux.
« Bon boulot, l'équipe. Vraiment. »
Martine leva la main. « Hervé, c'est vrai que tu fais une formation pour nous ? »
Hervé hocha la tête. « Ouais. "Superviser une IA en environnement professionnel." Trois demi-journées. On verra comment repérer ses faiblesses, comment l'améliorer, comment répartir le travail intelligemment. »
Jérôme ricana. « T'es devenu prof pour robots. »
« Dresseur d'algorithmes, » corrigea Hervé avec un sourire. « C'est plus classe. »
Après la réunion, Hervé retourna à son bureau. Sur son écran, une notification d'Isabelle :
Dossier Fernandez Industries : analyse terminée. J'ai détecté une incohérence dans les données financières fournies (section 3, ligne 47). Recommandation : vérification avant validation. Souhaitez-vous que je contacte le client pour clarification ?
Hervé lut le message. Trois mois plus tôt, Isabelle aurait gobé les données sans broncher. Maintenant, elle posait des questions. Elle apprenait.
Comme un stagiaire qui devient bon, pensa-t-il.
Il tapa sa réponse : Non, je m'en occupe. Mais bonne détection, Isabelle.
Puis il s'arrêta. Sourit. Effaça.
Bonne détection. Continue comme ça.
Son téléphone vibra. Claire : Tu rentres à quelle heure ?
18h30. Je dois finir un truc.
Ta fameuse formation ?
Ouais. C'est fou, j'apprends encore des trucs en la préparant.
T'as l'air content.
Hervé regarda son écran. Isabelle attendait ses instructions pour le dossier suivant. Quinze dossiers en attente. Avant, ça l'aurait paniqué. Maintenant...
Ouais, tapa-t-il. Je crois que je suis content.
Il éteignit son téléphone, ouvrit le dossier Fernandez, décrocha son téléphone fixe.
« Monsieur Fernandez ? Hervé Malbert, de Logiprest. J'ai quelques questions sur vos derniers chiffres... »
Dehors, la nuit tombait sur la zone industrielle. Dans l'open space, les néons bourdonnaient doucement. Sur l'écran d'Hervé, une petite icône clignotait : Isabelle, en attente de sa prochaine mission.
Quelque part dans les serveurs de l'entreprise, un algorithme compilait les millions d'instructions qu'Hervé lui avait données ces derniers mois. Apprenait. S'ajustait. Devenait, lentement, ce qu'on lui avait appris à devenir.
Un outil. Puissant, imparfait, et remarquablement efficace.
À condition que quelqu'un sache s'en servir.
Épilogue : Un an plus tard
La salle de conférence était pleine. Vingt-cinq personnes de différents services. Hervé reconnut quelques visages : Martine, Jérôme, mais aussi des gens de la compta, du marketing, de la logistique.
Patrick Durand fit les présentations.
« Hervé Malbert va vous expliquer comment il a transformé l'implémentation d'une IA dans son service, passant d'un démarrage catastrophique à un succès reconnu dans toute l'entreprise. » Il se tourna vers Hervé. « À toi. »
Hervé se leva. Un an plus tôt, l'idée de faire une présentation l'aurait stressé. Aujourd'hui...
« Merci Patrick. Bon, je vais être honnête : il y a un an, quand on m'a installé Isabelle – notre IA – sur mon poste, j'ai cru que ma carrière était finie. »
Quelques rires nerveux dans la salle. Il les voyait, ces regards inquiets. Il les reconnaissait.
« Je vais vous raconter une histoire. L'histoire d'un type qui a passé deux semaines à vouloir prouver qu'une machine était nulle. Et qui a découvert, finalement, qu'il n'était pas en compétition avec elle. »
Il avança sa première diapositive. Elle ne contenait qu'une phrase :
Une IA ne vous remplace pas. Elle révèle ce que vous faites vraiment.
« Laissez-moi vous expliquer... »
Dans la salle, vingt-cinq personnes se penchèrent en avant.
Dehors, dans les bureaux silencieux, des dizaines d'écrans affichaient des variantes d'Isabelle, d'Alexandre, de Sophie – toutes ces IA fraîchement déployées, toutes ces intelligences artificielles qui attendaient, patientes et infatigables, qu'on leur apprenne à devenir utiles.
À condition que quelqu'un veuille bien leur montrer comment.
Testez et appréciez la version vidéo puis la version audio de ce récit.
Chacune a ses atouts.Et vous ?
Qu'en pensez-vous ?
La vidéo de cette histoire :
Le podcast audio :
