samedi 21 septembre 2024

Quand les machines nous émeuvent : les enjeux de l'empathie numérique

"Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ?" A. de  Lamartine

Difficile de prétendre que les objets ont une âme (quoique...)
Mais impossible de ne pas constater que l'humain s'attache à des objets en projetant sur eux sa propre histoire comme la lance des hommes préhistoriques ou la charrue du laboureur nous font immédiatement penser à ce qu'ils ont vécu.

Quel rapport avec la compréhension et l'apprentissage des objets techniques et l'Intelligence Artificielle ?

L'anthropomorphisme qui fait que l'empathie de l'humain déborde de sa sphère propre pour le meilleur et le pire dont il faut impérativement être conscient.


L'anthropomorphisme : Qu'est-ce que c'est ?


L'anthropomorphisme est la tendance à attribuer des caractéristiques humaines à des objets inanimés ou des entités non humaines. 

Cette inclination est profondément ancrée dans notre culture et notre psychologie, comme le suggère Lamartine avec sa célèbre question : "Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?". 

Cela se manifeste souvent dans notre interaction avec l'intelligence artificielle, où nous pouvons percevoir des machines comme ayant des intentions ou des émotions humaines.


Pourquoi anthropomorphisons-nous les Objets ?


Raisons psychologiques et culturelles

 Besoin de compréhension :

Attribuer des traits humains à des objets complexes comme l'IA peut nous aider à mieux les comprendre et à interagir avec eux.

Confort émotionnel : 

Penser qu'une machine "comprend" nos émotions peut être réconfortant, surtout pour ceux qui se sentent isolés.

Culture et littérature : 

Depuis des siècles, les histoires et les mythes ont humanisé les objets, renforçant cette tendance.

Exemples :

Assistants vocaux : 

Lorsque nous demandons à Alexa ou Siri de faire quelque chose, nous pouvons les remercier comme si nous parlions à une personne.

Robots compagnons : 

Des robots conçus pour tenir compagnie aux personnes âgées peuvent être perçus comme des amis, bien qu'ils soient des machines.


Cas révélateur, particulier et pathologique de la maladie de Diogène



La maladie de Diogène est un trouble comportemental caractérisé par une accumulation compulsive d’objets inutiles ou de déchets, une négligence extrême de l’hygiène personnelle et domestique, et un isolement social prononcé sans ressentir l'anomalie de leur situation.

Les personnes atteintes utilisent l’accumulation d’objets comme une forme de protection et de réconfort, créant une “bulle” autour d’elles. 
A New York, dans les années 1940, une victime de ce syndrome avait accumulé plus d'une tonne de déchets dans son appartement, est morte dans un tunnel qu'il avait aménagé sous ces déchets. 

Un malade justifiait qu'il ne pouvait jeter un mouchoir qui lui avait rendu un grand service personnel quand il l'avait utilisé. Il s'y était trop attaché comme par une empathie personnelle. 

 La maladie de Diogène et l'empathie excessive envers les objets sont effectivement liées, bien que de manière complexe :

1. Anthropomorphisme excessif :

Les personnes atteintes attribuent souvent des qualités humaines aux objets, comme dans votre exemple du papier "gentil".

2. Attachement émotionnel :

Elles développent un lien affectif fort avec les objets, les percevant comme ayant une valeur sentimentale ou une "personnalité".

3. Difficulté à se séparer :

Cette empathie exagérée rend difficile de jeter ou donner des objets, même s'ils sont inutiles ou encombrants.

4. Sentiment de responsabilité :

Les personnes peuvent ressentir le devoir de "prendre soin" des objets, comme s'ils étaient vivants.

5. Peur de blesser :

Se débarrasser d'un objet peut être perçu comme le "blesser" ou le "trahir".

6. Compensation sociale :

L'attachement aux objets peut compenser un manque de relations humaines.

7. Distorsion de la réalité :

Cette empathie déformée altère la perception de l'environnement et des priorités.

Pourquoi évoquer la maladie de Diogène pour parler d'anthropomorphisme ?


Nous ne confondons pas :
La maladie de Diogène est un trouble complexe pathologique nécessitant une prise en charge médicale.Tandis que l’anthropomorphisme est un comportement courant et souvent inoffensif.

Par contre, un certain nombre de mécanismes mentaux sont communs.
En les identifiant mieux, on peut mieux les comprendre pour mieux agir. 


Avantages et inconvénients de l'anthropomorphisme


Avantages :

Interaction améliorée : 

Une interface perçue comme "humaine" peut faciliter l'utilisation et l'adoption de la technologie.

Soutien émotionnel : 

Pour certaines personnes, l'idée qu'une machine "écoute" peut apporter du réconfort.


Inconvénients

Confusion sur les capacités : 

Croire qu'une machine a des émotions ou une conscience peut mener à des attentes irréalistes.

Déception et frustration : 

Lorsque la technologie ne répond pas comme un humain le ferait, cela peut causer de la frustration.

Impact sur les relations sociales : 

Une dépendance excessive à des interactions "humaines" avec des machines peut réduire les interactions sociales réelles.


Conséquences 


Individuelles

Isolement : 

S'appuyer trop sur des machines pour des interactions peut accentuer l'isolement social.

Perception Erronée : 

Les individus peuvent développer des perceptions erronées de la technologie, la voyant comme plus capable qu'elle ne l'est réellement.

 Sociales et civilisationnelles

Changements dans les Interactions :

La façon dont nous interagissons avec la technologie peut influencer nos interactions humaines.

Questions Éthiques et Religieuses : 

L'idée que des machines pourraient avoir des intentions ou des émotions soulève des questions éthiques et religieuses sur la nature de la vie et de l'âme.


Notez les différences importantes entre les comportements humains et les réponses de l'IA :


1. Absence d'émotions et d'empathie réelles

- L'IA peut simuler des réponses empathiques, mais ne ressent pas réellement d'émotions.

- Un humain aura une compréhension émotionnelle authentique de la situation.


2. Manque de contexte et de nuance

- L'IA se base uniquement sur les données dont elle dispose, sans vraiment comprendre le contexte plus large.

- Un humain peut saisir les subtilités et les nuances d'une situation complexe.


3. Absence de jugement moral ou éthique

- L'IA ne possède pas de sens moral intrinsèque et ne peut pas faire de jugements éthiques.

- Un humain peut évaluer les implications morales d'une situation.


4. Réponses standardisées vs personnalisées

- L'IA a tendance à donner des réponses plus génériques et standardisées.

- Un humain peut adapter sa réponse de manière très personnalisée.


5. Manque de créativité et d'intuition

- L'IA est limitée à ce pour quoi elle a été programmée.

- Un humain peut faire preuve de créativité et d'intuition face à des situations nouvelles.


6. Absence de conscience de soi

- L'IA n'a pas de véritable conscience d'elle-même ou de son existence.

- Un humain a une conscience de soi et de son identité.


7. Incapacité à apprendre de manière autonome

- L'IA ne peut pas réellement apprendre de nouvelles choses sans être reprogrammée.

- Un humain peut continuellement apprendre et évoluer de manière autonome.


En gardant ces différences à l'esprit, les limites de l'IA seront mieux comprise et l'IA utiliée de manière plus appropriée, sans lui attribuer des capacités qu'elle ne possède pas réellement.



Détecter les signes d'anthropomorphisme des humains


 Voici quelques signes qui peuvent indiquer que des seniors anthropomorphisent l'IA dans leur utilisation :


1. Attribuer des émotions à l'IA

- Penser que l'assistant vocal est "gentil" ou "méchant"

- Croire que l'IA a des sentiments ou des intentions


2. Traiter l'IA comme une personne réelle

- Donner des noms humains comme Alexa ou Siri

- Leur parler comme à une personne réelle

- Leur attribuer une personnalité ou des émotions

- Parler à l'assistant vocal comme à un ami

- Remercier excessivement l'IA pour son aide


3. Surestimer les capacités de l'IA

- Penser que l'IA peut tout comprendre et tout faire

- Faire plus confiance aux recommandations de l'IA qu'à son propre jugement


4. Développer un attachement émotionnel

- Leur donner un nom et leur parler comme à un animal de compagnie

- Croire qu'ils ont des sentiments ou des besoins

- Considérer l'assistant vocal comme un compagnon

- Se sentir triste ou en colère si l'IA ne fonctionne pas


5. Négliger les interactions humaines au profit de l'IA

- Préférer interagir avec l'IA plutôt qu'avec des personnes réelles

- Passer beaucoup de temps à "discuter" avec l'assistant vocal


6. Oublier les limites technologiques

- S'énerver si l'IA ne comprend pas quelque chose

- Penser que l'IA a une conscience ou des intentions propres


7. Attribuer une personnalité à l'IA

- Penser que l'assistant vocal a un caractère spécifique

- Croire que l'IA a des préférences ou des goûts


Pour éviter ces pièges, il est important de rappeler régulièrement aux seniors que l'IA reste un outil technologique, sans conscience ni émotion réelle, malgré son apparente "intelligence".



Principaux pièges de l'anthropomorphisme de l'IA




 1. Attribuer des émotions ou une conscience à l'IA :

Il est important de se rappeler que l'IA n'a pas de sentiment ni de conscience propre. Elle ne peut pas vraiment "comprendre" ou "ressentir" les choses comme un être humain.


2. Surestimer les capacités de l'IA :

Bien que très performante dans certains domaines, l'IA reste limitée à des tâches spécifiques. Il ne faut pas lui prêter des capacités qu'elle n'a pas, comme un raisonnement éthique complexe.


3. Considérer l'IA comme un interlocuteur réel :

Les assistants vocaux et chatbots peuvent sembler "humains", mais ce ne sont que des programmes informatiques. Il faut éviter de développer un attachement émotionnel envers eux.


4. Négliger les interactions humaines au profit de l'IA :

L'IA ne doit pas remplacer les vraies relations sociales. Il est crucial de maintenir des contacts humains authentiques.


5. Faire aveuglément confiance aux décisions de l'IA :

L'IA peut commettre des erreurs ou avoir des biais. Il faut garder un esprit critique face à ses recommandations, surtout pour des décisions importantes.


6. Oublier que l'IA est un outil créé par l'homme :

L'IA n'est pas une entité supérieure ou mystérieuse, mais un outil conçu par des humains, avec leurs propres limites et biais potentiels.


7. Négliger les questions éthiques liées à l'IA :

Il est important de rester vigilant sur les implications éthiques de l'utilisation de l'IA, notamment en termes de protection de la vie privée.


Robot HONDA  ASIMO
En gardant à l'esprit ces points, les seniors peuvent utiliser l'IA de manière plus éclairée et bénéfique, sans tomber dans les pièges de l'anthropomorphisme excessif.




Conseils pratiques pour utiliser l'IA sans anthropomorphisme


1. Comprendre les limites :

Rappelez-vous que l'IA est un outil conçu pour traiter des données et exécuter des tâches, sans émotions ni intentions.

2. Éducation continue : 

Informez-vous régulièrement sur les capacités réelles de l'IA pour éviter les malentendus.

3. Favoriser les interactions humaines : 

Utilisez l'IA pour améliorer votre vie, mais ne laissez pas cela remplacer les interactions humaines authentiques.

4. Utiliser l'IA comme outil :

Voyez l'IA comme un moyen d'accomplir des tâches spécifiques et non comme une entité dotée de conscience.


En conclusion, bien que l'anthropomorphisme puisse rendre l'interaction avec l'IA plus intuitive, il est crucial de garder à l'esprit que ces technologies ne possèdent ni émotions ni conscience. En comprenant cela, nous pouvons utiliser l'IA de manière plus efficace et éviter les pièges des attentes irréalistes.



Les mots fantasmés de l'anthropomorphisme et les mots du réel

Voici, en rouge, à gauche, les termes anthropomorphiques souvent utilisés pour décrire l'IA et à droite en vert, les termes objectifs et précis décrivant la réalité.

 "Comprendre" --> Analyse 

 "Penser" --> Traite 

 "Savoir" --> Stocke 

 "Apprendre" --> Modélise 

 "Décider" --> Exécute 

 "Voir" --> Capture 

 "Entendre" --> Reconnaît 

 "Parler" --> Génère

 "Ressentir" --> Mesure 

 "Souvenir" --> Enregistre 


Utiliser le vocabulaire correct aide à clarifier que l'IA effectue des opérations techniques et n'a pas de capacités cognitives ou émotionnelles humaines comme entraine à le penser l'anthropomorphisme.


 1. "Comprendre" - L'IA est décrite comme comprenant des concepts, alors qu'elle traite en réalité des données.

2. "Penser" - On attribue à l'IA la capacité de penser, au lieu de dire qu'elle calcule ou analyse.

3. "Apprendre" - L'IA est décrite comme apprenant, plutôt que comme ajustant ses paramètres.

4. "Voir" - Au lieu de dire que l'IA scanne ou analyse des images.

5. "Écouter" - Plutôt que de dire que l'IA capte et traite des sons.

6. "Parler" - Au lieu de dire que l'IA génère du texte ou de l'audio.

7. "Décider" - L'IA est décrite comme prenant des décisions, plutôt que, suivant des critères, elle classe et sélectionne des options selon sa programmation.

8. "Créer" - On attribue à l'IA la capacité de créer, au lieu de dire qu'elle combine ou génère des données.

9. "Argumenter" - L'IA est décrite comme capable d'argumenter, plutôt que d'analyser et présenter des informations.

10. "Écrire" - Au lieu de dire que l'IA génère du texte.


Fim "HER" - Bande annonce 
Une love story avec une IA de Spike Jonze



"Je suis ton homme" Fim de Maria Schrader


Commentaire de "ARTE" :

"Une chercheuse à la vie monacale accepte de tester un robot compagnon humanoïde, programmé pour l'aimer. 
Une comédie romantique non dénuée de profondeur, au regard acéré sur l'absurdité du monde moderne." "Mais l'ambiguïté oblige à la réflexion avec son intelligence... et ses sentiments !"

"À la table d'un cabaret, on présente à la docteure Alma Felser un homme assuré, jeune et séduisant. Tom est parfait sous tous rapports, à ceci près qu'il n'est pas humain : le cabaret n'est qu'un décor construit dans un centre de recherche et Alma, une testeuse, missionnée pour évaluer ce partenaire humanoïde pour une période de trois semaines. 
Après quoi, elle devra rédiger un rapport sur l'éthique d'une relation entre humains et machines, ouvrant potentiellement la voie à la reconnaissance des robots comme personnes dotées de droits.
La monacale Alma commence par renâcler, mais son patron lui fait miroiter des crédits pour un futur projet de recherche. 
Après des débuts chaotiques et quelques réglages, l'algorithme puissant de Tom lui permet de tisser une relation réelle avec la chercheuse... Réelle, vraiment ?

IA d'la joie
Sous ses atours de comédie romantique (Maren Eggert et Dan Stevens sont parfaits dans les rôles de la quadra austère et du robot humanoïde impertinent), le film de Maria Schrader joue avec brio de l'effet Lettres persanes : Tom, étranger au monde des humains, a bien du mal à passer la complexité des sentiments à l'épreuve de sa souriante rationalité... 
On ne boude pas son plaisir face à ce couple que tout oppose, dont le jeu du chat et de la souris permet une réflexion poétique sur l'absurdité de nos sociétés modernes et le besoin gigantesque d'amour et de joie qui transperce des existences trop souvent moroses".