lundi 8 janvier 2018

La deuxième Révolution de l'écrit : l'imprimerie

Atelier d'imprimerie en 1568
(Source Wikipedia)
L'invention de Gutemberg, l'imprimerie, on l'apprend à l'école comme un fait évident, autant que la création de l'école par Charlemagne.

Évidence dans l'originalité de l'invention, évidence dans son intérêt et son succès immédiat et dans le succès de son inventeur.

Si presque tout est faux dans ces évidences, ce qui est incontestable, c'est la portée universelle dans le monde et dans le temps d'une invention qui a été "le" big bang de la communication.

La mise au point des caractères d'imprimerie, petits et amovibles et la presse dans une machine capable d'imprimer en grande quantité a permis l'ouverture au monde entier et la diffusion de la connaissance pour le plus grand nombre.

Jamais une invention n'aura autant changé les façons de penser, de communiquer et d'agir.




Bois gravé Chinois 1.200 env.
(Wikipédia)

L'imprimerie a été inventée par les Chinois dès le II ème siècle

La xylographie, procédé de reproduction multiple d'une image ou de caractères d'écriture a été pratiquée en Chine, en Corée, au Japon, entre 650 et 770.

Les graveurs sur bois en Europe imprimaient des estampes en 1418.

Des bois gravés permettaient d'imprimer des livres bon marché comme les grammaires pour les étudiants ou des bibles pour les pauvres (Wikipédia).


L'ancêtre de la typographie

Bible des Pauvres, xylographie
(Wikipédia)
"Graver une page entière de caractères sur une plaque de bois ressemble à une gageure.

Pour simplifier leur travail, certains graveurs travaillent à la ligne.
Le texte n’est plus gravé en un seul bloc, mais en plusieurs blocs d'une ou plusieurs lignes.

Cette technique permet également les modifications du texte.
Il suffit de retirer le ou les blocs du texte à modifier et les remplacer par des nouveaux."  (Wikipédia).


Les caractères mobiles 

Les caractères mobiles ont été réalisés en terre cuite en Chine au XIe siècle. Bi Seng employa 1040 caractères mobiles.

En Corée, vers 1234, un livre (exposé à la Bibliothèque Nationale de France) a été imprimé avec des caractères métalliques.

Marco Polo a séjourné entre 1274 et 1291 à la cour de l'empereur de Chine et il y a appris les cultures et techniques qu'il a enseignées à son retour en occident.

L'invention de l'impression "moderne" par Gutenberg

Gutenberg, financé par Johann Fust, le maire de Mayence,  a travaillé dans des conditions très difficiles, en faillite, a dû abandonner au bout de 5 ans son projet.

Il a pourtant réussi à regrouper plusieurs inventions anciennes (l'impression avec des caractères mobiles) et récentes (le pressoir).

Il a conçu la fabrication de caractères d'impression en plomb, fondu dans des moules.

Le pressoir à vis venait d'être inventé pour l'extraction de jus de fruits.
"Dictionnaire encyclopédique
de l'épicerie et des industries annexes"
(Wikipédia)
Il remplacera le pressoir à levier utilisé partout dans le monde qui avait le très gros inconvénient pour l'impression de ne pas exercer de pression uniforme.

Le pressoir à vis allait devenir avec Gutenberg la presse d'imprimerie moderne.
Les caractères typographiques en plomb, avec pratiquement le même alliage, seront utilisés depuis cette époque, 1450, jusqu'à la fin du XXe siècle.

Si l'invention de Gutenberg ne surgissait pas du néant, elle a concrétisé un procédé avec une telle perfection, que celui-ci, malgré la faillite et l'échec de son inventeur, a eu une diffusion immédiate dans toute l'Europe.

Près de 20 millions de livres ont été imprimés avant 1500.
77% de ces livres sont en latin et la moitié sont à motif religieux. 

Si Venise prend la tête de l'édition en Europe,  Paris, Lyon et Anvers deviennent ensuite de hauts lieux de l'imprimerie avec un total de 200.000 éditions.

Certains imprimeurs imprimaient secrètement leurs livres pour les vendre en faisant croire qu'ils avaient été manuscrits.
D'autres, comme le Hollandais Coster, ont revendiqué être auteurs de l'invention.

Les villes de Mayence, en Allemagne, dont le maire avait financé les travaux de Gutenberg et Strasbourg, en France, ont voulu faire de leur ville le berceau de l'invention (tout en reconnaissant le rôle de Gutenberg).
Une quinzaine d'autres villes se sont aussi disputées la paternité à coup de documents falsifiés.

C'est Peter Schoeffer, qui, après avoir travaillé avec Gutenberg, a installé des imprimeries à Mayence où il est retourné rejoindre l'ancien financier Johan Fust.
Presse à bras de 1811,
pratiquement inchangée depuis Gutenberg
(Wikipédia)
Enrichi comme de nombreux imprimeurs qui ont adopté le procédé, 

Les réactions contre l'impression moderne furent violentes

"Les premiers imprimeurs qui vinrent d'Allemagne à Paris furent d'abord traités de sorciers, parce que le peuple, habitué à l'incorrection des livres recopiés par les scribes, ne pouvait comprendre comment on arrivait sans sortilège à produire, en si grand nombre, des textes expurgés. 

Il fallut l'intervention du roi Louis XI pour empêcher le Parlement et l'Université de faire pendre Gering, ses associés et les libraires qui mettaient en vente ses ouvrages.

On prétend même que Fust, l'associé de Gutenberg fut arrêté à Paris." (Source: L'invention de l'imprimerie à caractères mobiles)

"L'imprimerie, protégée par Louis XII, se  développa encore sous le règne de François Ier. 

Mais ce dernier, poussé par la Sorbonne, crut pouvoir arrêter le progrès par un édit. 

Il défendit (13 janvier 1533) d'imprimer dans son royaume ; un édit qui fut rapporté l'année suivante et il n'en resta d'autre souvenir que le titre de Proscripteur de l'imprimerie, donné au roi par plusieurs historiens". 

L'imprimerie, une des premières inventions alliant techniciens et investisseurs 

Gutenberg a dû ménager l'Église qui surveillait de très près ce qui s'imprimait.

Atelier d'impression XVIe siècle
S'il avait publié des textes hérétiques, il est sûr que l'imprimerie à caractère mobile aurait été interdite et son développement retardé pour longtemps.

Il n'y a qu'à consulter la longue liste des imprimeurs persécutés et exécutés pour avoir publié des écrits qui ne plaisaient pas aux autorités en place.

L'imprimerie permet l'accès aux textes originaux pour le plus grand nombre


Même s'il faut relativiser sur ce "plus grand nombre". 
Il s'agit d'environ un dixième de la population.

Beaucoup de textes sont en latin et ceux qui savent lire dans les campagnes se résument à l'Eglise et aux nobles. Dans les villes, beaucoup plus lisent en particulier les artisans qui tiennent leur comptabilité.

Mais la référence aux textes permet de s’affranchir de ceux qui étaient jusqu’à présent leurs dépositaires et permet de s’affranchir de leurs commentaires et interprétations.

Les imprimeurs doivent aérer leurs textes, fixer la ponctuation et l'orthographe.

L'instruction et l'esprit critique se développent à grande vitesse.

Atelier d’imprimerie XVIIIe s

Renaissance, protestantisme, les luttes d’affranchissement. 

La Renaissance n'est-elle pas aussi la fille de l'imprimerie ?

Le protestantisme, un demi-siècle après l'invention de l'imprimerie, n'a-t-il pas été favorisé par la diffusion imprimée "sans intermédiaire" des textes religieux ?

Les imprimeurs qui sont aussi libraires, installés le plus souvent dans les villes, près des universités sont des foyers intellectuels bouillonnants à surveiller de près par le pouvoir (Obligation du dépôt légal dès 1537 par François 1er après l'interdiction pendant un an d'imprimer en France).

1566 : Contrôle des imprimeurs qui dépendent d'un privilège royal d'imprimer (Edit de Moulins)

L'Église établit l'index des livres interdits.

Dans les faits et en riposte à ces contrôles, il y a beaucoup d'ateliers clandestins et de contrefaçons.

Dans les siècles qui suivent, il est révélateur que le contrôle que veut exercer le pouvoir central se matérialise par le nombre d'imprimeurs autorisés et le contrôle de leur production.