lundi 25 décembre 2017

La première Révolution de l'écrit : l'apparition de l'écriture

Sceau mésopotamien Ibni-sharrum 2.000 ans av. JC 
L'apparition de l'écriture a marqué une vraie étape de l'humanité : la sortie de l'âge préhistorique.

L'oral a vu son rôle diminuer et les personnalités de référence, chargées de témoigner par leur mémoire et leur parole se sont trouvées mises de côté.

Les scribes, ceux qui savent écrire, ont pris une place très importante auprès du pouvoir.

La technique de l'écriture a transformé les rapports aux faits, maintenant consignés sur les tablettes puis les papyrus, à la fois pour faire connaître leur contenu aux contemporains, mais aussi aux générations futures.

L'"Histoire" de l'humanité commence avec l'écriture.

Mais culture de l'écrit et culture de l'oral ont toujours gardé des rapports conflictuels.


La révolution de l'apparition de l'écriture


Détail d'une tablette administrative
de la période d'Uruk III, Djemdet Nasr
 (3100–2900 av. J.-C.) Source : Wikipédia
La Mésopotamie, puis l'Égypte,  plus de 4.000 ans avant notre ère, c'est loin !

L'écriture n'a probablement été, au début, qu'un simple aide-mémoire au service de ceux qui géraient les affaires. Surtout, les opérations comptables.

L'écriture était à ce moment-là, un simple outil de mémorisation, d'enregistrement.

Mais très rapidement, de représentation des nombres, l'écriture a représenté des mots et s'est organisée pour donner du sens en formalisant la connaissance.

La rapidité avec laquelle la codification des caractères et de règles oblige a penser que les racines de cette invention avaient des ramifications très lointaines dans le Néolithique.

Dés le début, l'écriture semble s'organiser sur des principes restés valables pendant les millénaires suivants.
Ce qui signifie que le groupe à l'origine de la formalisation de ces signes avait d'une part un recul et une maturité sur le sujet et sur la société que ces écritures allaient refléter, expliquer, permettre de communiquer.
Cette maturité venait certainement de très anciennes pratiques de représentations au moins mentalement partagées par tous.
Scribe égyptien à Louxor

Apparaît d'ailleurs le besoin de figer par l'écriture les lois dans le premier recueil (vers - 2.0000 ans), le code Hammourabi qui contient déjà 285 lois.
L'écriture poétique et littéraire et tous les domaines d'activité des humains y ont été décrits et écrits.

Imagine-t-on les bouleversements dans ces sociétés où l'écrit a remplacé les mémoires des hommes.

La parole de référence ne venait plus d'un personnage respecté, mais d'une tablette d'argile !


L'écriture a été rejetée et condamnée, entre autres, par l'inventeur de la philosophe occidentale : Platon


L'écrit qui remplace la parole, Platon en a fait la meilleure critique dans Phèdre :

"quand, une fois pour toutes, il a été écrit, chaque discours va rouler de droite et de gauche et passe indifféremment auprès de ceux qui s'y connaissent, comme auprès de ceux dont ce n'est point l'affaire ; de plus, il ne sait pas quels sont ceux à qui il doit ou non s'adresser. Que par ailleurs s'élèvent à son sujet des voix discordantes et qu'il soit injustement injurié, il a toujours besoin du secours de son père ; car il n'est capable ni de se défendre ni de se tirer d'affaire tout seul » (275d-e). Celui qui possède la science du juste, du beau et du bien, « il n'ira donc pas sérieusement „écrire sur l'eau“ ces choses-là [...] pour faire naître des discours incapables de se tirer d'affaire par la parole, incapables en outre d'enseigner comme il faut la vérité » (276c) (eiUNIVERSALIS.fr)

Platon va même plus loin quand il fait dire à Socrate (dans Phèdre également)
Copiste au monastère

  1. que  l’écriture est inhumaine, elle prétend établir en dehors de l’esprit ce qui ne peut être en réalité que dans l’esprit. 
  2. Elle est une chose, un produit manufacturé
  3. L’écriture détruit la mémoire. Les utilisateurs de l’écriture perdront peu à peu la mémoire à force de compter sur une ressource externe pour parer à leur manque de ressources internes. L’écriture affaiblit l’esprit. 
Avec tout le respect que l'on doit avoir envers Platon, on peut cependant lui faire remarquer (à posteriori, évidemment), que s'il n'avait pas écrit, nous n'aurions jamais pu profiter de ses enseignements !

Platon voyait l'écriture comme beaucoup voient les ordinateurs aujourd’hui : une technologie extérieure, étrangère, hostile, nuisible


Paul Verlaine  Désappointement

Il explique que le caractère artificiel de l'écriture (comme des ordinateurs) ne doivent pas être prétextes à la condamner. Au contraire.

C'est un paradoxe, mais l'artificialité est naturelle aux êtres humains. "La technologie, correctement intériorisée, ne dégrade pas la vie humaine : au contraire, elle l’améliore. 

L’orchestre moderne, par exemple, est le résultat d’une technologie avancée. Un violon est un instrument, donc un outil."

"Pour parvenir [à exprimer l'émotion et l'art], le violoniste ou l’organiste doit bien sûr avoir intériorisé la technologie, avoir fait de l’outil ou de la machine sa seconde nature, une part psychologique de lui-même. 

Cela exige des années de « pratique » pour apprendre à exploiter le potentiel de l’outil.

Façonner ainsi un outil à notre usage, acquérir une compétence technologique peut enrichir la psyché, ouvrir l’esprit humain, intensifier sa vie intérieure. 

Calumet de la paix pour parler
plutôt que se combattre
L’écriture est une technologie encore plus profondément intériorisée que la performance musicale instrumentale.

Mais pour comprendre ce qu’elle est, ce qui exige de comprendre sa relation à son passé, à l’oralité, il fait en toute honnêteté reconnaître qu’elle est une technologie. » Walter J. Ong.


L'écriture n'a pourtant pas remplacé l'oralité qui garde bien des valeurs de civilisation


On peut comprendre ce que Platon condamne dans l'écriture parce que l'oralité cultivait des trésors dans la civilisation.

L'oralité prend en compte tous les sens, l'ouïe, la vue, la prononciation, les mimiques, les parements du corps qui "parle" dans son entier.

Mais aujourd'hui encore, la parole garde une force et un respect aussi (plus, dans certains cas) important que l'écrit.
Ainsi les engagements de fiançailles et de mariage se faisaient oralement.

Ne dit-on pas "donner sa parole", "tenir sa parole" ?

Dans le monde ottoman, "L'écrit [peut-il être considéré] comme échec de l'oral ?"  (Revue du Monde musulman et de la Méditerranée) en montrant combien les règlements des conflits se font avant tout par la parole.

Aujourd'hui encore, les échanges par mail sont très pratiques, mais ils sont aussi dénoncés comme la dégradation des relations humaines dans les entreprises.

Le télétravail, de plus en plus adopté par des entreprises pour économiser des bureaux, fait sentir sa limite. Et de nombreuses entreprises inversent cette tendance pour recréer un esprit d'entreprise et d'équipe.
Elles constatent en effet que le télétravail crée des relations où les conflits ne se résolvent pas.