lundi 17 juillet 2017

Le bénévolat et le travail gratuit

20,4 millions de bénévoles en France.Un Français sur 3.


​Bénévolat, partenariat,  engagement citoyen, entre-aide, activité, échanges, télé-réalité, expérience client, communauté, concours, jeu, contribution, etc.
Poids économique 3,2% du PIB.

Pendant longtemps, le bénévolat a eu un rôle important mais circonscrit. Mais la révolution numérique est passée par là.

Avec les nouvelles technologies favorisant les échanges directs et à distance, les contributions des bénévoles ont explosé dans tous les domaines.
Ils sont maintenant sollicités pour remplacer une bonne partie de l'emploi salarial et abaisser les coûts correspondants.

De nouveaux secteurs se développent en se basant exclusivement ou presque sur des groupes de contribution bénévoles.


"Les faux-semblants du travail gratuit" 

La journaliste et enquêtrice Valérie Segond a écrit dans Le Monde un article très complet "Les faux-semblants du travail gratuit".
Je n'en reprends ci-dessous que quelques aspects en vous encourageant à lire l'article complet.

Le bénévolat : une économie sur l'emploi salarié ?

Plus de 20 millions de bénévoles, cela équivaut à 700.000 salariés à temps plein selon l'Insee (soit presque autant que dans l'hôtellerie-restauration).

"Le travail bénévole est surtout concentré dans les petites structures militantes ou de vie sociale, les budgets et l’emploi salarié sont très concentrés dans le secteur médico-social et dans l’éducation."

Mais, depuis 10 ans, pour réduire leurs budgets, "​les conseils généraux ont externalisé une partie de l’action sociale vers le secteur associatif qui, grâce au bénévolat et à un emploi salarié moins rémunéré, l’assume à moindre coût".

La confusion des genres devient souvent flagrante par le traitement des bénévoles qui se retrouvent dans des liens de fonctionnement et de subordination identiques au salariat.

Pire encore, de nombreuses start-ups se lancent sous forme associative pour recourir à une main-d'oeuvre bénévole.

L'expérience client que de nombreuses entreprises sollicitent consiste aussi à profiter du travail gratuit.

Des communautés d'entre-aide sont très bien organisées. Exemple de Bouygues Télécom qui, dans ses forums d'assistance, mobilise 500.000 clients qui répondent à 1,2 millions de demandes par mois.
Il n'a plus besoin que de 50 "conseillers internes".

La collaboration des groupes humains, l'exemple de Wikipédia

Wikipédia est le plus bel exemple de réussite d'une activité collaborative sur le mode web 2.0.

C'est d'une part une activité exemplaire dont on peut se féliciter.
D'autre part, les ravages dans les encyclopédies "classiques" ont été terribles:


  • Encarta, l'encyclopédie éditée par Microsoft, a disparu en 2009, remplacée par Wikipédia
  • Encyclopédie Britannica, encyclopédie de référence depuis 1768, s'ouvre à un mode collaboratif régulé par une équipe d'éditeurs et de spécialistes.
  • Larousse est devenue un service gratuit en ligne en mode semi-collaboratif. ("Comment Wikipédia a tué Encarta")
  • l'Encyclopædia Universalis a fêté son 50 ème anniversaire en passant de 45 à 25 salariés, a abandonné son édition papier et est passée par un redressement judiciaire en 2014.
    Universalis faisait appel à plus de 7.200 spécialistes pour rédiger ses articles. Alors que Wikipédia, pour sa seule version française, avait 16.000 collaborateurs bénévoles.
    (articles: "Face à l’omniprésent Wikipédia, Encyclopædia Universalis dépose le bilan"
    et "Boulogne : plus que 25 salariés chez Encyclopaedia Universalis"

Est-ce le bénévolat qui cause la dégradation du salariat ?

Bien sûr que non !

La même enquêtrice Valérie Segond a décrit dans un livre "Va-t-on payer pour travailler?", les dérives du travail low cost et de la flexibilité qui se généralisent.

"Payer pour travailler», c'est déjà une réalité": «Plus le chômage est élevé, plus le droit de travailler se paie cher», résume la journaliste :
  • payer pour accéder à un stage de reconversion
  • payer pour acquérir une franchise
  •  payer de sa personne en se déqualifiant 
  • ne se faire payer que 70% du travail effectué
  • ne pas compter ses heures supplémentaires
  • lorsque l'on est auto-entrepreneur et corvéable à merci, faire l’impasse sur la rentabilité
parmi les exemples qu'elle cite...

La dégradation du travail est due aux conditions économiques et sociales dans lesquelles le bénévolat est lui-même pris à partie.
Travail gratuit mais
bénéfice financier à la clé

Par contre, les frontières entre salariat/bénévolat/loisirs/travail se diluent

 Valérie Segond écrit "​il y a [bien] transformation d’un acte gratuit en valeur marchande par des plates-formes [comme]  TripAdvisor lorsqu'il mobilise 60 millions de voyageurs qui ont posté 170 millions de commentaires sur les sites et hôtels visités.
Il monétise un travail gratuit qui génère un trafic immense par de la publicité, et, aujourd’hui, par une activité de réservation d’hôtels".


Les contributeurs y trouvent leur compte en plaisir, en reconnaissance

"Tous les collaborateurs de ce[s] modèle[s] répètent qu’ils ne travaillent pas, mais qu’ils contribuent à une intelligence collective, aux « communs de la connaissance », régis selon des règles fixées et contrôlées par eux-mêmes. 
Car ce modèle est bâti sur des rapports entre égaux. 
Et ils en tirent un avantage immédiat avec un service, une encyclopédie, un guidage GPS, qu’auparavant ils devaient payer."

« Ils vivent ce travail créatif non rémunéré comme une pratique artistique », disent les sociologues. 
Ainsi, les uns sont payés en services, les autres en plaisir et en reconnaissance. 

Mais l’économie collaborative ne fait qu’achever une tendance qui était déjà en marche : la contrepartie du travail change de nature et, avec cette transformation, les frontières mêmes du travail se diluent."

Repenser le bénévolat pour ne pas laisser faire n'importe quoi

Au-delà des réflexions individuelles et des prises de positon de chacun, soit pour des principes généraux (et généreux), soit pour des pratiques personnelles, devant le constat de la profondeur des bouleversements sociaux, on peut réclamer une réflexion collective, éthique, sociale, politique sur ces questions qui ont des conséquences si importantes pour tant de gens.